Mon ombre se jetait sur le sol, puis venait glisser entre les lattes du parquet de l’ancien propriétaire. Face à moi se dévoilait une vue plongeante sur la rue et le parc le plus grand de la ville. Ainsi droit devant la baie vitrée, j’observais attentivement ce que cet appartement avait de mieux à offrir.
Là bas, à une centaine de mètres de l’entrée de l’immeuble se trouvait un bar à la devanture colorée. N’y étant pas habitué, je n’étais cependant pas sans savoir que derrière la porte de la réserve s’y cachait en réalité une salle de jeu clandestine qui accueillait quelques joueurs à ses heures perdues. Ce n’était certes pas l’industrie qui se dissimulait au sein de la station de chemin de fer désaffectée, mais ce serait suffisant pour occuper mes heures d’ennui.
Un peu plus loin, juste derrière un gratte ciel vitré, j’entrevoyais l’appartement de Jackson. Cependant la distance qui nous séparait en cet instant, à savoir trois cent mètres, était suffisante pour me couper des bruits que pourraient provoquer ses soirées endiablées. Mais après tout, qui s’en préoccupait ? Car oui, ’étais celui qui participerai activement à chacune des veillées que mon ami organiserai par la suite…
Le parc, aussi enneigé fut-il en cette veille de nouvel an, ne me cachait pourtant pas des beaux quartiers dans lesquels vivaient ma famille. Une grimace défigura alors mon visage harmonieux. Et pourtant je tentais de me raisonner. Car malgré sa petite taille, ce logement pouvait amplement convenir à mes besoins primaires. Il avait tout, à savoir un potentiel de décoration, le luxe d’un immeuble classieux, un emplacement idéal pour échapper aux soirées en bonne compagnie, et était un point de chute bien placé pour fuir le nid familial qui commençait à me peser. C’était certes moins économique que de vivre aux côtés de ses parents, mais je voyais déjà en cet endroit le côté chaleureux que je ne trouvais pas entre les murs spartiates de la maison des Ahn.
Pourtant, je ne comptais pas mettre ses derniers au courant avant quelque temps. Car l’argent grâce auquel j’allais m’approprier pareil bien n’était nullement sorti de leur poche, et dépassait certainement l’image qu’ils se faisaient de mon compte en banque...
Dans mon dos j’entendais les pas de la fille du propriétaire, faire écho sur les murs fraîchement repeints, pour venir se perdre dans l’air d’un appartement incroyablement vide.
- Sachez cependant que cet appartement n’a pas encore été mis en vente auprès des agences immobilière. C'est de particulier à particulier, et parce que nos familles se connaissent.- J’en ai bien conscience… D’ailleurs si vous vouliez bien faire passer sous silence cet achat, vous comme votre père, ce serait fort agréable. Et si cela vous pose problème… disons que je suis disposé à acheter cet appartement en y ajoutant un petit supplément, disais-je en plissant quelques peu les yeux avec un sourire malin.
Vous voyez ce que je veux dire Abbigail. Je ne me trompe pas n’est-ce pas ? demandais-je faussement vis-à-vis de son prénom.
Ou serait-ce plutôt… Abbi ? finissais-je par sourire en me retournant vers la grosse dinde.
J’avais quitté ma posture pour me rapprocher de la dite vendeuse qui m’était attribuée. Car bien que laide, elle avait l’avantage de posséder un puissant pouvoir de persuasion sur sa famille. Et à Elysian Fields tout le monde le savait, monsieur Butterson était loin d’être mou comme du beurre quand il s’agissait de faire affaires. C’était d’ailleurs là une qualité que semblait apprécier ma mère.
Aussi mieux valait prendre exemple sur ma génitrice et savoir user sagement de ses qualités physiques naturelles pour s’attirer les faveurs des Butterson. Et par chance, la fille de ce grand propriétaire immobilier était aussi stupide que repoussante.
- Vous… vous souvenez de mon nom ? demanda-t-elle en ne réussissant pas à garder son regard dans le miens.
- Bien entendu enfin, comment aurais-je pu l’oublier, continuais-je avec un faux sourire. Après tout c’est ma…
Soudain, du plus profond de ma poche, mon téléphone vibra suffisamment fort pour mettre un terme à cette conversation surfaite. Le saisissant d’une main disponible, j’entrevis le visage ridicule de Jackson s’afficher sur l’écran.
- Ah, je vois qu’on vous appelle. Ca doit être important ne vous gênez pas pour moi. Je vous laisse réfléchir quelques instants, dit-elle avant de quitter la pièce en se dandinant tel un pingouin mal fringué. - Oh mais que c’est généreux de votre part Abbi, j’ignorais que vous pouviez faire preuve de tant de qualités.
Juste avant de quitter la pièce elle avait gloussé, et lorsqu’enfin la dite “demoiselle” eu claqué la porte j’avais perdu mon sourire.
- Oui Jackson ? avais-je sèchement dis en décrochant le téléphone.
Comment ça je ne t’ai rien dit ?! Pas à pas, je me rapprochais de la baie vitrée, faisant résonner l’écho de ma voix dans l’appartement.
- Mais de quelle fille tu parles, et QUAND surtout ?! Parce que vu le nombre de fois où ce bouffon d’Oli m’à posé un lapin, je ne considère plus ça comme… attends attends calme toi. Sur la fille t’as des précisions ?Dans mon oreille raisonnait la voix agitée et inconstante de mon ami, qui tentait ardemment de me faire cracher ce que je ne voulais avouer. Et soudain, lorsqu’il me parla d’une piste de course, de Pat et Ahmed, et d’une matinée ensoleillée, je venais tout juste de poser mon regard sur les quelques passants qui défilaient sous mes yeux.
Alors, au milieu de cette foule, j’entrevis une jeune femme se faufiler entre les citadins pour ne pas ralentir son pas de course. Un T-shirt blanc, un legging noir et les cheveux attachés en arrière, c’est presque si mon cerveau n’avait pas confondu souvenir et réalité.
- Ah. Cette fois-là.Tandis que je la regardais s’éloigner, les mots de Jackson ne m’apparurent plus que comme un brouhaha de fond. Et, tandis que la coureuse passait de l’ombre à la lumière, éclairée par un soleil couchant, j’entrevis l’image de Misaki.
Ce matin là nous étions parti nous exercer entre amis, et comme si de rien n’était j’avais posé mon regard sur la jeune femme que j’avais délibérément évité. Au fond de mon être, je m’étais surpris à prier de ne pas la recroiser, dans l’espoir que des mois de séparations aient atténués les battements incessants qui martelaient ma poitrine. Mais même ce matin là, bien que séparés d’une centaine de mètres, mon regard avait comme été attiré par cette princesse.
J’ignorais depuis combien de temps elle avait commencé sa course, mais chacun de ses pas me donnait l’impression qu’elle attirait la lumière jusqu’à elle. Mettant à nouveau court à mes émotions, j’avais entrepris de porter uniquement mon attention sur notre activité de groupe, à savoir un usage détourné de la piste de course. Peut-être étions nous parti là-bas avec pour objectif de pratiquer un sport collectif, mais de ce jour, je ne me souviens que de la chute que Misaki avait effectuée à même la haie.
Cette pensée m’arracha un sourire véritable, qui me fit lentement battre des paupières. Car aujourd’hui comme en cette matinée d’octobre, je n’avais pu me retenir de rire face à cet exploit acrobatique. Et pourtant après réflexion, cette dernière avait certainement souffert de cette embrassade involontaire avec le buisson.
Je me rappelle de la serviette que je lui avais prêté ou encore de la bouteille d’eau qui m’avait servit à l’humidifier. Mais qu’advenait-il de notre conversation ? En effet, bien que nous ayons parlé longuement, je ne pouvais désormais que tenter d’imaginer notre échange passé. Tout était flou.
- Alors, il s’est passé quoi ?! avait hurlé Jackson dans mon oreille.
Le regard perdu dans le vide, un sourire triste sur le visage, j’avais glissé une main le long mon pull gris jusqu’à ma poitrine.
- Quelque chose que je vais regretter.[/url]
// FIN DU RP //