My Pretty Babyboy

Felix était essoufflé depuis quatre minutes déjà. Il sentait la transpiration perler sur ses tempes, entacher son t-shirt et glisser sur sa nuque telle les sueurs froides que pouvaient créer une course poursuite. Le jeune homme n'avait jamais été un grand sportif, mais avec le temps il commençait à comprendre pourquoi «l'adrénaline peut vous faire faire des miracles ». Car même si le souffle lui manquait, même si ses poumons crachaient du feu, même si ses mollets le brulaient, le stress hormonal qui coulait dans ses veines le lui faisait oublier. Il ne sentait rien. Rien d'autre qu'une peur foudroyante.
Demain aux aurores il devrait être en route pour Atlanta, et ce n'était certainement pas le moment de gâcher des mois de préparation pour un léger accrochage avec les forces de l'ordre. Incident qui n'était d'ailleurs pas de son fait. Entre deux ruelles désertées il prenait mentalement note de tuer son cousin une fois tout ceci terminé, puis sauta sur ce qui devait être une poubelle renversée pour se hisser sur le mur de brique qui leur barrait la route. Du coin de l'oeil il entrevit le corps maigrichon de l'abruti sprinter à quelques mètres de là. Pensant un instant avoir semé les deux poulets qui voulaient les arrêter, que ne fut pas son désespoir lorsque ceux-ci tournèrent à l'angle de la ruelle.

Il était impensable que ces deux ficellos aient pu échapper à des policiers supposés entraînés, mais dans leur malheur ils avaient tout de même eu la chance d’assommer le seul suffisamment en forme pour les rattraper.

Retombant sur le sol dans un saut en théorie contrôlé, Felix en profita pour réfléchir dans la précipitation. Etonnement son cerveau fonctionnait encore plus vite que lors de ses arnaques au poker. Et regroupant le peu de logique que le la situation permettait il entrevis peut-être une porte de sortie. Ils se trouvaient dans une ruelle donnant tout droit sur l'avenue de l'Eglise du Saint William, elle qui traversait la partie Est de la ville. Il devait être à peine vingt-trois heures trente, une soirée de fin janvier...
Un bruit sourd raisonna dans son dos, signe qu'Isa avait lui aussi franchit le mur salit par les ordures qui le côtoyaient. Se retournant brusquement vers ce dernier, il ne lui laissa pas le temps de souffler avant de se remettre à courir.

- Chinatown ! Hurla Felix en s'engouffrant dans l'avenue peuplée.

Et même pas vingt secondes plus tard il étaient à nouveau poursuivit par les policiers en poste sur l'avenue, alertés par l'appel d'alerte de leurs collègues trop paresseux pour passer un simple muret. Et à l'entente du lourd contact de leurs boots sur le trottoir, le jeune homme comprit que ces derniers avaient eux bel et bien suivit les entraînements physiques réguliers nécessaires à leur métier.

Fort heureusement pour les pitoyables fugitifs, Felix entrevit les lumières rouges des lanternes dansantes et entendit le doux son des chinas qui faisaient trembler tout Chinatown en ces temps de nouvel an lunaire. Et comme si cette vision lui avait redonné espoir, il esquissa un sourire satisfait avant de s'engouffrer dans la foule, espérant que son cousin suivrait.
Le quartier n'était en réalité jamais aussi animé qu'en cette période de l'année, les rues et allées bordées de marchands ambulants, les lanternes rougeoyantes suspendues de rues en rues et le défilé occupant les passants qui auraient osé poser le pied dans cette foule animé. Pour eux c'était une aubaine. Premièrement il y avait de fotres chances pour que les deux blancs à leur trousse aient quelques difficultés à reconnaître deux asiatiques dans une foule de leur semblables. En outre le monde en lui-même allait leur être bénéfique pour disparaître. Car si à New York ou à San Francisco les défilés étaient délimités par des barrières et des passants respectueux, ici il n'en était rien. Tout se mélangeait. Ce quartier devenait une véritable fourmilière  une fois venu le nouvel an.
C'est pourquoi en esquivant une ou deux échoppes fumantes, des groupes d'amis installés sur des terrasses improvisées, et des passants enivrés, Felix n'eut aucun à se glisser nonchalamment sous une masse de tissu en mouvement.

- T'est qui toi ? demanda le gros balaise soudainement face à lui dans un mandarin parfait.
- Ca vous dérange si je reste ici quelques instants? demanda Felix entre deux souffles.

Il y eu un léger silence durant lequel les deux hommes se regardèrent pesamment avant que l'inconnu ne mette fin à l'entrevue.

- Dégage.

Felix se demandera par la suite comment ce gros Chinois a réussi à l'éjecter du dragon de tissu sans utiliser les mains (ces dernières trop occupées à faire bouger le corps de l'animal de parade). Mais toujours est-il qu'il avait fini à même le sol, les lumières des lampions virevoletant dans la nuit au dessus de sa tête, chiens pelucheux et dragons colorés passants sur son corps inanimé tandis que les effluves de street-food venaient l'embaumer.
Réalisant alors sa fatigue et son incapacité à se relever tant ses muscles le faisaient souffrir, Felix se demanda comment il avait réussi à courir jusqu'ici, lui qui ne décrochait même pas un 15/20 en sport au lycée. Puis entre deux battements de cœur haletants il aperçu la tête de son cousin pénétrer son champ de vision.

- Je te hais.

Vous vous demandez certainement comment deux abrutis pareils en sont arrivés là ? Eux qui d'habitude évitent toute confrontation avec la police, comme si la lâcheté se transmettait génétiquement... Eh bien tout ça, c'est la faute de Jenn.

Qui est Jenn, demanderaient certains.

Jenn est la voisine de Felix. Et si jusqu'ici son existence n'avait provoqué chez Felix qu'une profonde indifférence, le jour ou tout à basculé il était loin de se douter qu'un simple paquet de sucre finirait par entraîner pareil effet domino.
Ce soir là, le jeune homme rentrait tout juste du restaurant de son grand-père. Cette soirée avait été plus chargées que d'ordinaire, le rendant trop exténué pour un travail qui ne servait que pour le blanchiment d'argent. La nui était tombée, la seule lumière de la rue éclairant le couloir miséreux de son immeuble. Il avait ouvert la porte de son appartement, lui dont la simplicité ne reflétait pas les énormes sommes d'argent qui remplissaient ses comptes offshores. Dans un silence religieux il avait enlevé sa veste en cuir avant d'allumer le plafonnier du salon.

Ce serait mentir que de dire qu'il avait crié de manière virile et masculine en apercevant son cousin a demi (c'est un euphémisme) nu sur son canapé. Non en réalité le bruit de surprise qu'avait poussé Felix en voyant le corps maigrichon et enivré sur son sofa se rapprochait plus de celui d'une fillette enrouée. Il avait par ailleurs sursauté, manquant de se prendre sa propre porte.

- Non mais je rêve ?! Qu'est-ce que tu fais là?! Hurla-t-il entre désarroi et irritation.

Avançant faiblement dans son appartement il déposa son sac de courses sur le plan de travail et entrevit un peu mieux celui qu'il avait du mal à accepter comme cousin. Un regard dans le vide, une allure peu propre, c'est de ses longs doigts qu'Isahia saisissait fermement une Despe que Felix savait venir de son frigo. D'un geste brusque il lui jeta sa veste au visage.

- Vire de mon canapé cloporte ! Et mets des vêtements par pitié on dirait un toxico au bord de l'overdose. Sale crasseux...

Puis en remplissant son frigo des quelques achats fait au 7eleven sur le chemin du retour il réalisa et se stoppa net.

- Attends. Comment tu es entré ici?