Felix regardait le contenu de son smoothie couler sur le sol poussiéreux du trottoir de centre ville. Et pour cause l’épais liquide goût grenade-orange dégoulinait doucement le long du bitume pour former une coulée de lave rougeâtre semblable à du vomi.
Cette journée s’annonçait mal. Il ne faisait pas spécialement beau, le ciel était de ce gris trop lumineux et désagréable, dès son réveil Felix avait reçu une invitation parentale à l’une de ces soirées mondaines qu’il détestait tant, et désormais son rayon de soleil liquide avait été propulsé au sol par un passant trop pressé.
- Fuck.Saisissant precotioneusement le gobelet du bout des doigts il le jetait dans la poubelle la plus proche tout en expulsant de ses poumons le souffle le plus long que cette terre ait connue. Les choses iraient mieux demain, se disait-il. Et pour cause tout aujourd’hui semblait si catastrophique que ce ne pouvait qu’être mieux plus tard.
Mais c’était sans compter sur la pression qu’il subissait. Aux yeux de tous il était peut-être un employé de restaurant sans intérêt, mais en arrière plan sévissait un enjeu des plus lourds.
Stanley, chef de leur petite association d’arnaqueurs avait des projets. Des complots qui pouvaient comme toujours rapporter gros, à condition que Felix fasse correctement sa part de collecte d’informations. Mais si d’ordinaire c’était une tâche plutôt aisée, aujourd’hui il se trouvait dans une impasse. Même le crasseux qui sait tout à l’arrière de son club de striptease ne pouvait le renseigner sur le vieux Takashi. Or comment obtenir des informations sur un vieux Japonais que même les oreilles les plus affûtées de la cité ne connaissaient pas ? Ce dilemme rongeait le jeune homme de l’intérieur depuis plusieurs semaines déjà, et il ne pouvait rien faire de plus que de s’arracher les cheveux d’angoisse.
Puis il la vit, elle, sa solution.
Dotée de plus d’élégance encore que sur les quelques photos qui lui avaient été données, la princesse Yakuza en personne venait de pénétrer une trop luxueuse boutique de vêtements tout en balançant sa longue chevelure au gré du mouvement de ses jambes élancées. Et s’il était déjà inimaginable de la croiser par hasard, il était totalement inconcevable que cette dernière se balade en plus sans le moindre garde du corps collé à ses hauts talons. Mais l’opportunisme primant sur la prudence, il ne fallu pas plus que le temps nécessaire pour explorer le rayon des couleurs roses du magasin avant que Felix se décide à saisir l’occasion. Il avait vu là la solution à ses problèmes, ou tout du moins la solution au dilemne Takashi.
A la réflexion, Felix se demandait si se reconvertir dans la filature n’aurait pas été moins risqué et stressant que ce qui le faisait survivre actuellement. Certes ses talents dans le domaine de la discrétion étaient moins grands que ceux qui l’aidaient à compter les cartes, mais il n’était pas peu fier de ces quelques dernières minutes d’espionnage. Il avait eu le temps de demander a la caissière quel était le montant du panier, prétextant un futur cadeau d’anniversaire pour celle qui venait de partir, a savoir sa
petite amie. C'était à peine si la jeune employée avait posé de questions sur le sujet, laissant assez peu de temps a Felix pour observer la robe violette du magasin qu'elle arborait fièrement sur le peu de formes qu'elle avait.
Et quelques pas plus tard, après avoir pénétré en ce lieu à la décoration universelles des Starbucks, il posait enfin ses fesses sur la chaises que ne lui avait pas réservé la princesse en lui faisant payer sa boisson. Mais si après tout cette soudaine opportunité ne lui coutait que quelques dollars insignifiants, il n’avait que faire du regard hébété et hautaint qu’elle lui avait jeté. Aussi, saisissant son Donut pour le croquer à pleines dents, il engageait la conversation tant attendue.
- Pas la peine de me virer comme un de vos fidèles sujets princesse.Puis buvant une gorgée de son café encore brulant, il prenait le temps de sélectionner ses mots avec attention pour que chaque sous-entendu n’attire pas plus l’attention qu’elle ne le faisait déjà en étant elle-même.
- Le bruit court que Papa n’est pas très généreux dernièrement. C’est si triste quand on pense que toutes les tenues que tu avais choisies ont été achetées par une vieille dame.- Comment peux tu savoir que c’était une vieille dame ? Juste un exemple parmi d’autres ou alors... Tu me suis depuis quand ? Je pensais que je me faisais des idées mais tu es peut-être vraiment un stalker en fait…Il souriait légèrement, ses sourcils se levant quelque peu. Peut-être n’était-il pas si mauvais que ça en filature après tout.
- Peut-être, mais un stalkeur a qui tu dois désormais 5,45$, annonçait-il par pure volonté d’entretenir la conversation.
- Soit content que ce ne soit pas plus pour oser me stalker.Un léger son de rire étouffé quitta sa gorge mais illumina son visage d’un plein sourire. Sa jupe moulante et son cardigan laissaient parfaitement transparaître la pimbèche qu’elle était au fond d’elle même. Et sans surprise cette dernière tentait du mieux que possible de le faire partir de sa table pour dégager de sa vue le cloporte que devait être Felix à ses yeux. Mais il gardait espoir, rien n’était perdu tant qu’elle n’avait pas contacté la sécurité.
- Ce n’est pas non plus comme si c’était une partie de plaisir de stalker une enfant pourrie gâtée qui va de boutique en boutique comme une gazelle sauvage. Quitte à devoir stalker quelqu’un j’aurais préféré éviter une planche à pain.Felix prenait un soin inimaginable à boire son café en prononçant ses quelques mots, ne croyant pas lui-même à ses propres paroles. Au lieu de ça son regard se mouvait de haut en bas, jaugeant faussement son corps que pourtant il avait déjà bien observé durant ses quelques minutes de filature. Et malgré cela il devait bien admettre que la princesse yakuza n’était pas des plus rebondies en terme de poitrine, mais de ce qu’il apercevait au loin, elle n’était pas non plus à plaindre pour une japonaise. La regardant à nouveau dans les yeux il reprenait, jetant les dés du destin.
- Mais bon, il semblerait que vouloir faire affaire oblige à quelques sacrifices. Et ainsi la partie était lancée.