Nombreuses sont les thérapies qui préconisent l'usage de l'écriture en guise de soin. Aussi quel comble pour le psychiatre que je suis de ne pas y avoir pensé plus tôt. Et qui plus est qu'il ai fallu attendre les conseils avisés de ma thérapeute pour me remettre en mémoire ce qui jamais ne me serait venu de faire naturellement. Aussi me voilà aujourd'hui assis à mon bureau, passant le temps par le biais de l'écriture, et attendant que le dernier de mes patients ne viennent enfin.
Toute cette histoire commença trois ans plus tôt, en Etat du
Connecticut, alors que j'exerçais encore la médecine psychiatrique au centre médical de l'université de Columbia en plein cœur de la Grande Pomme. Professeur dans cette même faculté et docteur respecté, ma vie était stable et prédéterminée. J'allais accomplir mes objectifs professionnels comme personnels, et satisfaire ainsi l'égo surdimensionné d'une famille aimante et patriote _ si ce n'était pas déjà fait.
Mais vint un jour qui perturba l'ordre des choses, et mis à épreuve toutes les certitudes d'avenir que je m'étais créées jusque là. C'était un événement ordinaire dans le monde des urgences hospitalières, mais ce qui se déroula cette nuit, fut la pierre angulaire de mon destin.
Tout s'était déroulé un soir de printemps, alors qu'une pluie torrentielle s'abattait sur les rues désertées de
Norwalk. Les essuie-glaces battaient la chamade en rythme avec l'auto-radio, qui diffusait agréablement
Time in a bottle dans ma spacieuse voiture. Les lumières des lampadaires se reflétaient dans les immenses flaques formées sur le bitume endommagé, et défilaient à vitesse que nous progression vers New York. J'ignore toujours à quelle distance nous nous trouvions de notre destination, mais malgré l'heure tardive, le temps ne semblait pas nous presser. Je me rappelle encore des rires qui fusaient à travers l’habitacle de l'Audi, et pourtant il m'est aujourd'hui impossible de savoir ce qui provoquait chez nous une telle joie de vivre.
Il m'est d'avis de prendre la part de responsabilité dans ce qui a suivi, aussi vais-je tenter de décrire les choses avec autant d'objectivité qu'il m'est possible d'avoir.
Je ne conduisait pas prudemment. Nombreuses furent les fois où j'ai été plus attentif au volant, celles où je n'avais pas bu une goutte d'alcool avant de reconduire mes amis chez eux, ou encore celles où j'avais préféré regarder la route plutôt que de me joindre à une conversation. C'était Thomas à ma droite qui avait lancé les réjouissances.
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Oh mais qu'elle est vieille cette chanson ! Avait-il dit en montant le son.
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Par pitié Tommy ! Qu'est-ce que la mère de Jack nous a bassiné avec ça, pas la peine de monter le son on la connaît par cœur, avait râlé William dans mon dos.
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Son titre musical préféré ! Pas vrai monsieur « le chef de service ». Je venais en ce jour de printemps, d'être promu par le directeur de l'hôpital, et nous étions allés fêter l'agréable nouvelle dans notre ville natale, tout ensemble, tel les trois mousquetaires dépourvu de leur
D'artagnan.
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Je suis étonné que vous vous en souveniez encore, riais-je avec eux.
Ce n'est pas comme si...-
LE CAMION ! Avait hurlé Willy.
Son visage s'était décomposé. Cela n'avait pris qu'une demis seconde, si ce n'est moins. Il avait pris un air grave, fait froncé ses bruns sourcils tandis qu'une lueur indescriptible avait brillé dans ses yeux. Peut-être est-ce l'alcool ou bien l'inattention, mais toujours est-il que je ne pu rien faire. Mes mouvements furent trop lents. Ma réflexion bien paresseuse. Et soudain tous mes muscles se figèrent, alors que j'apercevais avec retard ce qui avait provoqué pareille panique chez mon ami d'enfance.
A une dizaine de mètre à peine sur ma gauche, roulait à allure rapide un camion monstrueusement gros, qui aurait défié les bodybuildeurs du Texas de se risquer à le soulever. Alors oui, j'avais la priorité. Mais qu'en est-il du code de la route quand un tel accident se produit ? Y a-t-il jamais plusieurs responsables ? Aujourd'hui je souhaite que rien de tout cela ne se soit produit. Que le directeur ne m'ai pas promu, que nous ne soyons pas rentré chez nous tardivement, et que je n'ai pas concentré mon attention sur une conversation futile.
Et soudain le temps sembla ralentir. Nous avions été percutés.
Le choc fut d'une violence inimaginable. Ce dernier fut tel, que je ne sentis rien. Pas même la douleur d'un poignet écrasé entre le volant et l'arbre de transmission. Mais je sentis la voiture se plier. Le pare-choc noir se broyer sur lui-même, et les vitres gauches se briser en un millier de particules, qui flottèrent dans l’habitacle avant de venir entailler nos visages contactés de peur. Puis, sans crier et gare, la totalité de l'automobile fut propulsé dans les air. La gravité perdit peu à peu de son effet, tandis que tout se retournait.
J'étais malheureusement toujours conscient, et vis avec terreur nos bras se balader au gré des mouvements de la voiture, flottants doucement dans les airs. Nos cheveux firent de même, accompagné des multiples objets volants. Et bientôt le bitume fut plus près de ma tête que de mes pieds. Alors un second choc fit trembler nos corps endoloris. Tout se brisa. Les vitres, les phares, les os. J'ignore combien de fois nous avons roulé avant que les carcasses combinée de la voiture et de nos corps ne viennent s'écraser sur le lampadaire le plus proche.
Mais quand tout fut fini ma vision commença à me faire défaut. Je ne pouvais plus bouger, mais j'apercevait avec douleur le corps inerte de Thomas, les débris d'Audi sur la route et la fumée noire qui s'échappait du capot. Tout comme la musique, la pluie ne s'était pas arrêté et je sentais les gouttes d'eau couler sur ma peau ensanglanté. Celles-ci glissaient lentement sur mes tempes, défiant la gravité, puis venaient perler écarlates de mon menton pour venir s'écraser sur le sol gelé.
Tandis que l'auto-radio crachouillait péniblement le reste d morceau de Jim Croce, j'attendais inerte que quelqu'un ne vienne nous sauver. Je ne sais combien de temps j'ai patienté, mais mon cœur sembla battre à nouveau quand un semblant de pas humain se fit entendre. Tout était flou, brouillé et voilé, mais je suis sûr que le chauffeur était descendu du véhicule pour nous aider.
Puis plus rien.
Je m'étais réveillé à l'hôpital, seul dans une froide pièce. Je l'ignorais encore mais je venais de tout perdre. Fierté, motivation et avenir. Mais plus que tout, William, qui ne s'était jamais réveillé. Mort sur le coup. Thomy avait lui aussi été atteint, puisqu'à son réveil il avait constaté avec effroi que plus aucune de ses jambes ne répondait à son contrôle. Aujourd'hui coincé dans un fauteuil roulant pour le reste de ses jours, c'est à peine si j'ose lui faire face. Et comment aurais-je pu ? Moi, qui n'avait eu qu'un poignet et des côtes brisés, moi qui ne devait aujourd'hui faire face qu'à un trouble post-traumatique. Moi qui avait pu retrouver une vie normale.
« Normale »
Voilà un bien grand mot pour décrire ce qu'est devenu mon quotidien. Puisque n'ayant pas pu supporter de faire face à ma famille, mes collègues et New York, j'ai décidé de fuir. Tel un lâche face à ses responsabilité, reniant pendant si longtemps l'existence de mon traumatisme. De ce point de vue Willy avait eu de la chance. Il n'avait rien vu. Il ne se souvenait de rien. Tandis que pour ma part, la plus grosse blessure resta psychologique. Aujourd'hui encore, alors que j'écris, je sens mon poignet trembler à la vue de souvenirs douloureux. Et ce n'est rien comparé à la douleur qui m'envahit si jamais il me vient à l'idée de poser un pied dans une voiture.
Quel comble pour un psychiatre me direz-vous...
Ma grand-mère vivait à ElysianFields depuis longtemps déjà, mais malade à l'époque, j'ai profité de l'occasion pour sauter dans le premier avion en direction de l'Idaho. Des postes étaient à pourvoir, à la clinique comme à l'hôpital psychiatrique, et mes grandes compétences dans le domaine m'assurèrent d'être pris sans problème. Depuis lors nombres de choses se sont produites. J'ai rencontré Gwen, retrouvé des amis d'enfance, et ai pris mes habitudes dans cette ville peu peuplée. Mais s'il y a bien un détail auquel je n'avais pas pensé, c'était bel et bien la criminalité. Je n'aurais d'ailleurs jamais imaginé que celle-ci m'affecterai. Ainsi le mois dernier, lorsque le corps d'une de mes collègues fut retrouvé sans vie dans mon lit, j'avoue m'être demandé si ma destination de refuge était la bonne. Qui est le monstre qui aurait pu commettre une telle atrocité ?
Il est temps pour moi de cesser d'écrire, puisque mon ultime patient retardataire vient de pénétrer mon bureau, ici, à l'hôpital d'ElysianFields.
•••
- Larry, comment allez vous ? Je vous en prie installez-vous, nous allons commencer.